# UN DÉPLACEMENT AILLEURS DU SAHARA

Femme séparant l’or du sable, rivière Falémé, Sénégal. Les foyers ruraux de cette région aurifère exploitèrent occasionnellement les gisements d’or lors de la saison sèche, pour compléter l’agriculture de la saison des pluies. Photographie de Robyn D’Avignon, 2013

Blocs de sel du désert du Sahara transportés par des dromadaires jusqu’à des entrepôts près du fleuve Niger, puis par bateau jusqu’à des marchés tels que celui-ci à Mopti, au Mali. Photographie provenant de la De Agostini Picture Library, 2016/Getty Images

L’or et le sel se trouvaient au cœur des échanges transsahariens médiévaux, et ensemble, ils formèrent l’économie internationale qui définit le Moyen-Âge.

Ibn Battuta, voyageur et diplomate qui écrivit son récit de voyage à travers le désert du Sahara au milieu du quatorzième siècle, raconte que « les habitants du Soudan occidental utilisent le sel comme monnaie, tels l’or et l’argent. Ils le coupent en morceaux et l’utilisent pour leurs transactions. » ^{<a href="/references/">22</a>} La traversée du Sahara était ardue et semée d’embûches. La vitesse d’une caravane de dromadaires est d’à peu près cinq kilomètres par heure, et les caravanes pouvaient parcourir plus de 6 000 kilomètres lors d’un périple transsaharien. Surmonter les risques que posait un tel voyage, comme la soif, la faim et même la mort, demandait une motivation sans failles.

Le principal attrait qui motivait la traversée du Sahara par ces marchands en direction du sud était l’or ouest-africain, grandement convoité pour sa pureté et sa valeur symbolique. Les qualités spéciales de l’or (sa rareté, son éclat et sa façon de refléter la lumière, sa malléabilité et sa résistance à la ternissure, ainsi que la difficulté à l’extraire de la terre) contribuèrent à l’appréciation de sa valeur. Les empires du nord de l’Afrique, du Moyen-Orient et d’Europe battaient leur or en monnaie et l’utilisaient pour fabriquer et décorer des objets de luxe.

L’or ouest-africain offrait aux dirigeants et aux marchands la possibilité d’acquérir des biens de toute part. Le sel gemme, extrait au cœur du Sahara, était l’un des biens les plus importants. Le sel, essentiel à la vie humaine, est peu présent en Afrique de l’Ouest. En plus de ces denrées primaires, d’autres biens de luxe circulaient, comme l’ivoire, le cuivre, la vaisselle en verre et les perles de verre.

Abraham Cresques (?). Atlas de cartes marines (Atlas catalan), 1375. Parchemin enluminé monté sur six panneaux de bois, chacun d’une dimension de 64,5 x 25 cm. Bibliothèque nationale de France, Paris, Ms. Espagnol 30

Abraham Cresques (?). Détail du panneau 3 de Atlas de cartes marines (Atlas catalan), 1375. Parchemin enluminé monté sur six panneaux de bois, chacun d’une dimension de 64,5 x 25 cm. Bibliothèque nationale de France, Paris, Ms. Espagnol 30

Cette somptueuse carte avait probablement été commandée par le roi d’Aragon pour Charles V, roi de France, et produite par le cartographe juif Abraham Cresques. Elle fut achevée en 1375. La couronne d’Aragon, confédération de territoires puissants incluant une partie de la péninsule ibérique et des îles de la Méditerranée, avait un emplacement idéal pour devenir une puissance commerciale. *L’Atlas catalan* prouve l’intérêt significatif des européens pour le commerce international, et la proéminence de l’Afrique de l’Ouest dans ces réseaux d’échange.

Mansa Moussa, empereur du Mali, est représenté au premier plan sur le deuxième panneau, assis sur un trône et tenant un globe d’or dans une main. La légende indique: « Ce dirigeant maure se nomme Musse Melly [Mansa Moussa], seigneur de Guinée. Ce roi est le dirigeant le plus riche et le plus éminent de la région entière, en raison de l’importante quantité d’or extraite sur ses terres. » ^{<a href="/references/">23</a>}

Honorius Solidus, Milan, 395/400. Or, diamètre 1,23 cm. Musée archéologique de Rabat, Morocco, 24.3. Photographie de Fouad Mahdaoui

Les origines de l’or transsaharien datent probablement du quatrième siècle. Les postes d’avant-garde romains en Afrique étaient idéalement situés pour entreprendre ce commerce et faire circuler l’or et d’autres biens dans le vaste monde romain. La première pièce en or solidus, représentant l’empereur Honorius de profil, fut émise par l’Empire romain en 312 et pesait 4,5 grammes.

Ses mesures et échelons devinrent des unités standard pour la pesée de l’or partout où les pièces romaines étaient utilisées, et ces unités continuèrent à être utilisées par les états musulmans d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à l’époque médiévale. Il est probable que ce système ait également été transmis à l’Afrique de l’Ouest par le biais du commerce transsaharien, car il était utilisé pour les poids d’or de la région akan du Ghana au dix-neuvième siècle.^{<a href="/references/">24</a>}

Carte des ateliers monétaires de l’exposition Les caravanes de l’or, 2018.

Pendant la période médiévale, les dinars étaient frappés à l’or ouest-africain. Cette carte montre l’emplacement des ateliers monétaires pendant la dynastie almoravide (vers 1040-1147). Initiée par les Imazighen Sanhadja, issus du sud de la Mauritanie actuelle, à son apogée, la dynastie contrôlait une partie du fleuve Niger, du désert du Sahara et de la mer Méditerranée.

Les ateliers monétaires almoravides produisaient plus de monnaie en or que n’importe quel empire des terres musulmanes de l’Ouest. Leur monnaie était particulièrement recherchée car elle était produite à partir d’or d’Afrique de l’Ouest, connu pour être plus pur que l’or de n’importe quelle autre source. L’atelier monétaire de Sijilmasa, le plus proche des gisements d’or ouest-africains, était l’un des plus productifs.^{<a href="/references/">25</a>}

Dinar de Abu Inan Faris, (régna de 1348 à 1358), frappé à Sijilmasa. Or, diamètre 1,0 cm. Collection de Bank al-Maghrib, Banque centrale du Royaume du Maroc, 533341. Photographie de Fouad Mahdaoui

Dérivé du solidus romain standard, le dinar était une monnaie musulmane d’un poids moyen de 4,5 grammes. Introduits au septième siècle, les dinars étaient frappés dans plusieurs sites de la région méditerranéenne, souvent à partir d’or d’Afrique de l’Ouest. Un dinar avait une valeur significative et était principalement utilisé pour les dépenses importantes.

Ce dinar fut frappé à Sijilmasa, au Maroc, un des ateliers monétaires les plus productifs dû à sa proximité des sources aurifères de l’Afrique de l’Ouest. Les inscriptions sur le dinar témoignent du leadership politique de Abu ‘Inan Faris et font de Sijilmasa un centre de commerce et de production majeur.

Florin portant l’emblème de Florence (pile) et représentant Jean le Baptiste (face), Florence, 1252/1303. Or, diamètre 1,23 cm. American Numismatic Society, New York, 1954.237.214. Photographie provenant de l’American Numismactic Society

En 1252, la cité-État de Florence en Italie adopta l’étalon-or et commença à frapper sa propre monnaie. Cette décision fut appuyée par un afflux d’or provenant d’Afrique de l’Ouest par les routes du commerce transsaharien. Les florins étaient frappés d’une fleur de lys d’un côté et d’une représentation de Jean le Baptiste, saint patron de la ville de Florence, de l’autre. Un poinçon d’atelier se trouve au dessus de la main droite de Jean le Baptiste, et indique la provenance de la pièce. Les florins pouvaient également être battus jusqu’à former des feuilles d’or de grande valeur, utilisées pour décorer des objets, y compris des peintures religieuses.

Couronnement de la Vierge, Italie, XVe siècle. Tempéra et or sur panneau, 76,2 x 55,9 cm. Loyola University Museum of Art, Chicago, Illinois, Collection Martin D’Arcy, S.J., don de Eileen O'Shaughnessy, 1985, 1985:03. Photographie de Clare Britt

Les œuvres médiévales chrétiennes étaient souvent décorées avec des feuilles d’or. Sur cette peinture sur panneau provenant d’Italie, le Christ place une couronne sur la tête de sa mère Marie, symbolisant son rôle de Reine du Ciel. Des anges et d’autres personnages sacrés occupent l’espace céleste représenté par l’arrière-plan doré. Une grande partie de l’or utilisé en Italie venait d’Afrique de l’Ouest, et était acheminé par les routes du commerce transsaharien.

Depuis le treizième siècle, les cités-État telles que Florence ou Venise commencèrent à frapper leur monnaie majoritairement à partir d’or ouest-africain. Ces pièces étaient battues jusqu’à devenir des fines feuilles de métal, puis étaient utilisées comme feuilles d’or. Plus d’une centaine de feuilles pouvaient être faites à partir d’une seule pièce.^{<a href="/references/">26</a>}

Perle biconique, Égypte ou Syrie, Xe/XIe siècle. Or en filigrane, granulation et fil en torsion, longueur 7,2 cm. Photographie © The Aga Khan Museum, Toronto, AKM610

Le riche et puissant Califat fatimide (909-1171) qui régnait sur l’Afrique du Nord, l’Égypte, et la Syrie, était actif dans les réseaux de commerce transsahariens, mais aussi dans ceux de la Méditerranée et de l’Océan Indien.

Ses dirigeants étaient en concurrence avec les Omeyyades d’Espagne pour l’accès à l’or d’Afrique de l’Ouest et le contrôle des grandes villes de commerce telles que Sijilmasa.

Cette large perle fatimide très détaillée est composée de deux cônes filigranes joints le long d’un filon central. Cette forme provient de l’Antiquité. Le filigrane est une technique complexe qui consiste à souder des fils très fins à un fond en métal, où les orfèvres entrelacent de fines feuilles de métal et créent une décoration très intéressante sur le plan visuel.

Les perles biconiques furent largement disséminées à travers les régions méditerranéennes et sahariennes à l’époque médiévale. De petites perles en terre cuite provenant de Gao, au Mali, présentent la même forme biconique, et démontrent la popularité de cette forme.

Page du « Coran Bleu », Chapitre 2, Al-Baqara (La Vache) : vers 148-150., Iraq, Iran ou Tunisie, IXe/Xe siècle. Or et argent sur parchemin coloré à l’indigo, 28,5 x 35,3 cm. Photographie © The Aga Khan Museum, Toronto, AKM248

Cette page de ce somptueux Coran présente un texte en or et argent sur un parchemin coloré à l’indigo. Le Coran Bleu fut conservé à la bibliothèque de la Grande Mosquée de Kairouan en Tunisie à partir de l’an 1294 au moins. Aujourd’hui, plus d’une centaine de ses 600 pages sont dispersées dans des collections à travers le monde et plus de soixante sont encore en Tunisie.

Bien que les intellectuels soient en désaccord sur les origines exactes de ce splendide livre, l’or et l’argent utilisés pour écrire sur ce parchemin coloré d’un bleu profond indiquent une compétition avec les onéreux manuscrits teints en pourpre (extrait du murex marin) qui circulaient également dans les royaumes du bassin Méditerranéen.^{<a href="/references/">27</a>}

À l’époque médiévale, la culture des manuscrits partagée par les musulmans, les chrétiens et les juifs s’étendit jusqu’en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Europe. Les éléments typiques de la tradition des manuscrits étaient les suivants : une calligraphie élégante, des décorations colorées, y compris en or, et des attaches décoratives en cuir. L’or et le cuir, deux matériaux largement utilisés pour la confection des livres, étaient importés d’Afrique de l’Ouest. La culture du livre s’est également étendue en Afrique de l’Ouest, en même temps que le développement de l’islam dans le désert du Sahara.

Le traité d’Avot (Pirkei Avot), siddour (livre de prière), Lisbonne, fin du XVe siècle. Encre, aquarelle opaque et or sur parchemin. The Library of the Jewish Theological Seminary of America, New York, New York, Ms. 8235. Photographie provenant de The Library of the Jewish Theological Seminary of America

Ce siddour, livre de prière juif, indique un goût pour les entrelacs manuscrits raffinés. Certaines pages importantes sont également décorées avec des feuilles d’or et de l’aquarelle. L’or, provenant majoritairement d’Afrique de l’Ouest, était un matériel artistique particulièrement utilisé par les trois religions principales de la Méditerranée à l’époque médiévale : le judaïsme, le christianisme et l’islam. Les artisans juifs, qui travaillaient souvent l’or, contribuèrent énormément à l’art et la culture du Moyen-Âge, en confectionnant des œuvres pour des clients juifs, musulmans et chrétiens.

Vierge à l’Enfant, France, vers 1275/1300. Ivoire et peinture, 36,8 x 16,5 x 12,7 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York, don de J. Pierpont Morgan, 1917, 17.190.295. Image © The Metropolitan Museum of Art. Source de l’image : Art Resource, New York

Les défenses en ivoire faisaient partie, avec l’or, des produits de luxe commercialisés dans le désert du Sahara. Deux sous-espèces d’éléphant existent en Afrique de l’Ouest : l’éléphant de savane, l’espèce majoritaire, et l’éléphant de forêt. Les défenses des deux espèces circulaient par le commerce transsaharien médiéval.^{<a href="/references/">28</a>}

Les grandes statuettes de la Vierge à l’Enfant représentent l’apogée de la sculpture en ivoire à l’époque médiévale en France, et cette sculpture en est une des plus grandes. Cette statuette massive mesure 16,5 cm de diamètre à son point le plus large, et seule une défense d’éléphant de savane put servir à sa confection. L’artiste exploita au maximum la large défense pour réaliser les personnages de la Vierge et de l’Enfant, puis prolongea la sculpture en utilisant d’autres morceaux d’ivoire pour confectionner le trône. Pour finir, des détails réalisés en or et en peinture furent ajoutés à la statuette.

Coffre, Sicile, XIIe siècle. Ivoire, laiton, tempéra, et feuilles d’or, 9,5 x 15,9 x 9,7 cm. Art Institute of Chicago, dotation de Samuel P. Avery, 1926.389. Photographie provenant de l’Art Institute of Chicago/Art Resource, New York

Cette boîte, ou coffre, d’ivoire, a été confectionnée en Sicile, île située à l’extrémité sud de l’Italie, peu après la conquête normande. La population musulmane arabophone de Sicile ne fut pas complétement déportée par les Normands, et ces communautés, ainsi que leurs relations commerciales, contribuèrent considérablement à la culture visuelle qui se développa sous la domination normande. Le coffre est agrémenté d’accessoires en cuivre et de feuilles d’or, matériaux de grande valeur qui, au même titre que l’ivoire, circulèrent dans les réseaux principaux du commerce transsaharien. On peut lire une inscription en arabe qui signifie « Que la gloire dure toujours ».

Couronnement de la Vierge, Angleterre, vers 1480. Or et fil de soie sur lin, 29,5 x 32,4 cm. Loyola University Museum of Art, Chicago, Illinois, Collection Martin D’Arcy, S.J., don de D.F. Rowe, S.J., en mémoire de Mrs. Mary Flannery, 1976:01. Photographie de Clare Britt

Ce fragment de tissu en grande partie brodé représentant le couronnement de la Vierge, histoire chrétienne populaire de l’époque, faisait sans doute partie d’un vêtement sacerdotal ou d’une robe de cérémonie. Bien que certains documents de l’époque suggèrent que les vêtements de luxe brodés étaient portés par l’élite, la majorité des broderies conservées étaient destinées à l’Église.^{<a href="/references/">29</a>}

Un nombre important de fils d’or est intégré au décor. Malgré la découverte de gisements d’or en Europe à la fin du Moyen-Âge, l’or ouest-africain continua d’être grandement prisé pour sa qualité et sa pureté. Une épave retrouvée datant du milieu du dix-septième siècle apporte des preuves de l’exportation de l’or ouest-africain en Angleterre. Le navire coula au large de la côte de Devon, en Angleterre, emportant avec lui des restes de bijoux en or, des lingots, et plus de 400 pièces d’or, dont la plupart avaient été frappées au Maroc entre le onzième et le dix-septième siècle.

[Voir des fragments de bijoux et de lingots d’or retrouvés sur cette épave, sur le site de Salcombe Cannon](/fr/tour/shifting-away-from-the-sahara/#jewelry-and-ingots).

Pour en savoir plus sur le commerce du sel contemporain, [visionnez l’interview de Addi Ouadderrou et de Lahbib Rahmiwi, marchand de sel au Maroc](https://vimeo.com/364139755). Pour en savoir plus sur le commerce de l’ivoire en Afrique de l’Ouest et sur son utilisation en Europe médiévale, [visionnez les interviews de l’historienne de l’art Sarah Guérin](https://vimeo.com/364139579).